Jack pousse la porte de cette étrange agence, Funny Games, située au premier étage d'un petit immeuble Haussmannien du 14ème arrondissement de Paris. S'il est là aujourd'hui, c'est parce qu'il a lu l'annonce discrètement diffusée dans les petites annonces d'un magazine. L'annonce disait :

"Changer de vie de A à Z ?
Pour 10 000 euros, nous nous occupons de tout. Pour nous contacter, rendez-vous sur le http://www.funny-agency.com et cliquez sur "oui".
Vous serez contacté par mail dans l'heure qui suit par notre conseiller."

L'annonce avait attisé sa curiosité. Il était dans une période où plus rien ne lui souriait à Paris. La seules choses de bonnes dans sa vie se résumaient à ses deux frères, Henri et Simon, et à Kelly, sa meilleure amie. Dire qu'il avait quitté l'Angleterre dans l'espoir de refaire sa vie dans la capitale française ! Il avait tout perdu et si une agence - aussi mystérieuse fut-elle - prétendait pouvoir changer sa vie pour 10 000 euros, il avait envie de savoir en quoi et comment.

Sur le site Internet dépouillé de tout l'alambiqué graphisme habituel, il y avait le titre de l'agence, puis au milieu, deux boutons: "oui" et "non", et une très brève ligne explicative au-dessus de chacun : "En cliquant oui, je conçois qu'à partir de ce simple geste je vais complètement changer de vie." - "En cliquant non, je fais le bon choix."

En cliquant "oui", Jack ressentit un tract inouï. Ces personnes, qui qu'elles soient, avaient un sacré don pour la mise en scène. Après avoir cliqué, il attendit le cœur battant. Mais plus rien. La page tourbillonna sur elle-même pour ne devenir qu'une page blanche disant "à bientôt". Il n'avait ni entré son adresse e-mail, ni entré son nom ou toutes ces informations qu'on demande ordinairement pour recevoir un catalogue ou pour s'inscrire à un service.

Il avait vérifié tous ses anti-virus – cela pouvait être une mauvaise blague – mais son ordinateur était sain. Il ne pensa plus à l'annonce, à Funny Games Agency et au site toute l'heure qui suivit, se trouvant stupide d'avoir pu croire en une telle supercherie. Comment l'agence pouvait-elle le contacter puisqu'il n'avait pas eu le temps d'entrer son adresse mail ?

Mais la surprise fut de taille quand il visita sa boîte mail une heure plus tard. Il s'était prêté au jeu seulement parce qu'une force énigmatique l'attirait vers cette idée qu'on pût changer de vie en un clic. Effectivement, une heure plus tard, il avait bien reçu un message de l'Agence. Aussi dépouillé et mystérieux que le site Internet, le mail signé Moïra lui donnait rendez-vous dans trois jours à l'Agence. On lui demandait d'amener l'argent, son passeport et le nom des personnes qui l'accompagneraient dans sa nouvelle vie.

Kelly allait penser qu'il perdait la raison mais il lui en parla et, par amitié, elle lui promit de le suivre. Elle déposa ses trois semaines de vacances annuelles pour le mois de mai afin d'accompagner Jack dans sa nouvelle vie. 10 000 euros : Il avait intérêt à les valoir ce voyage ! Ses deux frères acceptèrent aussi. Cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas pris de vacances tous ensembles. Depuis la mort de leurs parents s'ils se souvenaient bien. Ils viendraient en France pour le jour du grand départ et furent enchantés de n'avoir à s'occuper de rien d'autre qu'à être à l'heure le jour du départ.

C'est ainsi que Jack, trois jours plus tard, s'apprête à pousser la porte de cette étrange agence providentielle, Funny Agency.

La charmante Moïra l'accueille. Elle l'invite à s'asseoir dans ce bureau décoré avec soin où Jack se sent déjà bien et "renouvelé". On l'a rarement traité avec autant d'aménité depuis qu'il a perdu son travail. La jeune femme lui demande la raison pour laquelle il a cliqué "oui". Il répond embarrassé qu'il n'aime plus sa vie et qu'il est très curieux de savoir comment on peut changer de vie pour 10 000 euros.

Moïra montre les photos d'un paradis Terrestre qu'elle appelle Nomadina. A chaque image, Jack se sent attiré par cette île dont il n'a jamais entendu parler. Moïra lui explique que l'île a été achetée et aménagée par un très riche entrepreneur dans les années 1920 et que, depuis, elle prospère en autarcie, loin de tout.

Ces informations ne furent que la moitié de l'étonnement de Jack. Il se sentit défaillir quand il entendit ce qu'ils auraient pour 10 000 euros chacun : Une chambre d'hôtel luxueuse dans le plus bel hôtel de Nomadina, la possibilité de travailler ou d'ouvrir le commerce de leur choix avec une aide de financement pour le lancement, la certitude de faire un emploi qui nous convienne, le voyage en jet privé puis en bateau depuis l'aéroport naval de la NTO, agence privée de tourisme de Nomadina, de nouveaux papiers d'identité avec l'identité de son choix, l'ouverture d'un en banque crédité de 2000 Noz (la monnaie de Nomadina), une voiture dans la gamme des modèles qu'on peut s'offrir pour 10000 euros…

Il apprit que 10000 euros était le forfait le plus petit que Funny Agency proposait pour changer de vie. Pour 100 000 euros par personne, c'était une villa dont il serait propriétaire et non plus une chambre d'hôtel, une voiture de luxe et non plus la voiture standard… et le compte en banque crédité de 10000 Noz, et les assurances et les soins médicaux et les vêtements… Une folie.

Moïra lui donna des informations précises sur le fonctionnement épatant de Nomadina. Par exemple, Jack appris que les citoyens de l'île ne souffraient pas d'impôts sur le revenu ou de TVA… mais quelle était donc cette île ?!

La seule condition pour accéder au privilège de faire ce voyage, insista Moïra, était qu'il abandonne réellement sa vie telle qu'elle l'était aujourd'hui car une fois que Nomadina aurait investi sur lui, il n'y aurait pas de retour possible. Jack hocha la tête bien qu'il pensa autrement. Si au bout du compte Nomadina ne lui plaisait pas, il prendrait le premier avion et retournerait à Paris ou à Londres.

Comme Jack avait l'air emballé, Moïra sortit le contrat et le plaça devant Jack. Il avait dix minutes pour réfléchir et signer pour lui et pour le destin des trois autres. Comment ne pas refuser une telle offre ? En vendant chacun les biens qu'il possédait ici et en vidant ses comptes en banque et PEL, il trouverait forcément les 100 000 euros et ils pourraient habiter tous ensemble au paradis ! Jack signa.

Il fit un chèque de 130000 euros. Il rêva que si sa villa à Nomadina était si grande, il pourrait facilement y loger ses amis et qu'il ne pouvait décemment pas leur demander d'apporter 100000 euros chacun dans une aventure qui ne concernait réellement que lui.

Il crut rêver quand l'encre de sa signature se transforma sur le papier en date de départ:

"Dimanche 9 mai 2010 – 4 voyageurs // Jack Hargrove (voyageur signataire, résident classe Luxe) // Accompagné de trois voyageurs (non signataire, classe Standard) // Kelly Barton / Henri Hargrove / Simon Hargrove – Départ pour Nomadina. Rendez-vous à Roissy Charles de Gaulle, Terminal 4, porte 7 à 07h47."

Terminal 4 ? Il n'y avait pas de terminal 4 à Roissy ! Jack se fâcha mais Moïra le calma avec gentillesse en lui faisant remarquer qu'il n'y avait pas non plus beaucoup de contrats qui se transformaient instantanément en billet d'avion. "Il faut un peu de magie pour arriver sur Nomadina" lui récita-t-elle comme un slogan.

Jack rentra chez lui le cœur affolé. On était le 30 avril. Une semaine le séparait du reste de sa vie. Il discuta avec ses frères et Kelly de ce qu'il avait vu, des billets magiques et de Moïra. Incrédules, ils réfléchirent néanmoins à la possibilité d'aider Jack à regrouper ses 100 000 euros. Les deux frères n'étaient pas très enthousiastes à l'idée de laisser vivre leur frère à des milliers de kilomètres d'eux mais ils comptaient bien revenir à Londres après avoir passé quelques jours sur Nomadina. Kelly, la fidèle amie, aurait suivi Jack jusqu'aux confins du monde. Si l'île lui plaisait, elle resterait avec lui.

La semaine se passa. Jack et ses compagnons de voyage finalisèrent les derniers aspects administratifs pour aider ce dernier à entrer dans sa nouvelle vie. Leurs bagages et cartons étaient prêts. Quelle surprise en descendant de son petit appartement de la rue des Abesses, de découvrir qu'un gros Hummer noir les attendait dans la rue. Le chauffeur était aussi sympathique que Moïra l'avait été. Il aida à mettre cartons et bagages dans le coffre et embarqua tout le monde vers Roissy.

Le chauffeur se chargea des bagages et les invita à se rendre au terminal 4. Les deux frères, sceptiques, hésitèrent à laisser leurs bagages : "Une agence qui sort de je ne sais où, des billets d'avion "magiques", changer de vie…" se moqua Simon. "Et dix mille euros qui servent peut-être à payer la plus belle escroquerie du monde !" ajouta Henri mal à l'aise qui n'avait pas aimé se séparer de ses bagages dès l'arrivée. "Ca se trouve, ils sont en train de nous dépouiller et nous, comme des cons, on continue de croire que dans un jour, nous serons sur une île paradisiaque… Jack, j'espère pour toi que tu sais ce que tu fais…"

Fébrilement, Jack croisa ses doigts. Kelly, charitable et silencieuse, prit le bras de Jack pour l'emmener vers les escalators. L'anglais ne décroisa ses doigts que lorsque – pour son plus grand soulagement – il vit clignoter le "Terminal 4". La signalétique était apparue comme par enchantement une fois que la navette pour le terminal 3 eut déposée tous les autres voyageurs qui avaient jeté un drôle de regard aux quatre compagnons: "C'est le terminus" leur dit une femme inquiète à l'accent canadien et chargée d'un gros sac à dos de voyage en voyant qu'ils ne descendaient pas. Mal à l'aise Jack répondit: "Pour vous… pour nous, ça commence…"
Les portes de la navette automatique se refermèrent. Il y eut un silence très lourd. Soudain, la navette était repartie et le panneau "Terminal 4" s'était illuminé. Tout le monde avait respiré et rit sans trop comprendre ce qui les mettait dans cette joie euphorique.

Jusqu'à l'arrivée au tarmac, personne ne vérifia leur identité ou leur passeport. On ne les passa à aucun moment au détecteur de métaux et, dans le jet, tout le personnel de bord de la compagnie fut adorable. On rassura les deux frères : "Oui, messieurs, vos bagages nous sont bien parvenues. Elles sont actuellement en soute."

Le voyage en avion dura quatre heures et le voyage en bateau sur la Nef dura un jour. Le personnel de bord de la Nef, le nom du bateau, était aussi attentionné et avenant que toutes les personnes que Funny Agency avait mis sur leur chemin jusqu'à présent.

Enfin, au petit matin, virent-ils se découper à l'horizon l'île de Nomadina… L'île était enchanteresse. On voyait d'abord les tours de la ville, les collines, le haut volcan… puis le port se précisa, les petits bungalows, les plages… Sous la coque du petit bateau de croisière, l'eau passa du bleu foncé au turquoise, le récif de corail brillait au loin… c'était effectivement paradisiaque. Ils en étaient tous bouche bée.

Cela ne serait qu'après en avoir prit plein les yeux et en avoir profité des jours entiers qu'ils comprendraient que quelque chose ne tourne pas rond sur Nomadina… A commencer par les habitants, les autochtones. Tous si gentils… ils cachent bien leur jeu… sont-ils si gentils par compassion pour les vagues quotidiennes de voyageurs résidents qui arrivent sur l'île inconscients qu'ils deviendront bientôt les victimes des vampires ou de l'insaisissable tueur en série que tout le monde appelle désormais "Funny Killer" ? Les Nomadiniens se soucient-ils vraiment du sort des voyageurs ou se servent-ils d'eux comme chair à vampire ? Comment se fait-il que certains voyageurs aient développés d'étranges pouvoirs ?

Pour l'épilogue, Jack ouvrit enfin la boutique de vêtements dont il avait rêvé et pour laquelle il avait une première fois tout quitté pour habiter paris. Il se maria avec Kelly une année après avoir tragiquement perdu ses deux frères assassinés par Funny Killer dans une crique éloignée où ils pêchaient. La vie n'est pas simple tous les jours avec Kelly. La jeune femme s'est fait mordre par un vampire à Noël dernier. Comme depuis le décrêt de 1995, les vampires ont l'interdiction de mordre, le vampire criminel a été brûlé vif par la lumière du jour en haut de la Tower. Kelly venait d'accoucher de leur petite fille, Beth. Difficile d'élever Beth quand on ne peut pas l'accompagner à l'école en plein jour ou prendre son petit déjeuner avec tout le monde. Heureusement que Jack a développé de son côté le pouvoir d'inhibition. Grâce à ce pouvoir, il peut stopper la soif insatiable de sa femme avec laquelle il a décidé de continuer à vivre, quand elle est à portée de leur petite fille. La contrepartie de ce merveilleux pouvoir est que Jack souffre désormais de cécité.

La vie est magnifique, il ne la changerait pour rien au monde, mais la vie est dure et il se battra aux côtés des autorités de Nomadina pour débusquer Funny Killer et l'empêcher de faire du mal à Beth.